Seuls les malfrats de seconde zone auraient choisi cette Daimler d'un autre temps, reconnaissable entre mille, mais ils avaient été impressionnés par sa ligne agressive qui suggérait puissance et rapidité. Il faut préciser, toutefois, à leur décharge, que le véhicule, garé dans une rue tranquille, avait été facile à voler.
La vivacité d'esprit n'était pas le fort de Paul et, dans les premiers instants, il se demanda ce qui lui arrivait, il ne comprit confusément qu'il était l'otage de deux dangereux criminels que lorsqu'il fut jeté violemment sur la banquette arrière de l'énorme voiture noire. La Daimler démarra en trombe, mais à peine eut-elle parcouru quelques centaines de mètres que Paul entendit le cri déchirant d'une sièrene de police. Le hurlement grandit rapidement, s'approcha, assourdissant.
Le malfaiteur au volant de la Daimler se retourna, le visage mal rasé, livide, mouillé de sueur.
- Vous n'allez pas me tuer? supplia Paul, plaintif. Vous allez me relâcher, n'est-ce pas?
- Ferme-la, dit l'homme assis près de lui.
- II a eu tout le temps de nous observer, dit le conducteur entre ses dents.
- Il n'est pas le seul, couillon ! retorqua l'autre. Tu as laissé ton masque glisser dans la banque puis tu as tiré comme un idiot sur le vigile.
- C'est sa faute ; il a fait un geste.
Le voisin de Paul se retourna pour observer les poursuivants. Plusieurs voitures de police les talonnaient.
- Tu vois, ils n'osent pas tirer, remarqua-t-il. Je te l'avais dit : avec un otage, on est protégé.
- Ils ne tirent pas encore, corrigea le conducteur. Comment va-t-on les semer? La moitié du Comté doit être à nos trousses maintenant.
- On s'en tirera. Je trouverai une solution. Mais ne conduits pas aussi vite. Tu vas finir par nous tuer.
Ils franchirent sans encombre le premier barrage de police. En apercevant le canon de révolver pressé contre la temps de Paul, les policiers s'écartèrent, laissant la voie libre.
Il n'en fut pas de même au deuxième barrage. Les policiers beaucoup plus nombreux obstruaient complètement le passage et l'un d'eux hurla dans un porte-voix :
- Vous êtes pris! Relâchez l'otage, jetez vos armes et sortez lentement, les mains sur la tête!
Les mots déformés, couverts à certains moments, par un odieux sifflement étaient renvoyés par les talus de chaque côté de la route, emplissant l'espace d'un vacarme assourdissant.
- On ferait peut-être mieux de se rendre, dit le conducteur d'une voix tremblante.
- Tu n'as vraiment rien dans le ventre ! riposta son acolyte. on a plus de cent mille dollars dans ce sac et tu veux te rendre?
Tu as envie de passer vingt ans en tôle, peut-être? Plutôt crever ! Ils essaient de nous impressionner. Tu ne regardes donc jamais la télé? Ils n'ont pas le droit de tirer et de mettre l'otage en danger.
Il enfonça un peu plus le canon de son arme dans la temps de Paul.- Avec lui on ne risque rien.Il n'y a qu'à attendre.Ils finiront par nous laisser le champ libre.
Les minutes qui suivirent devraient lui donner tort. Un tireur délite, embusqué derrière un buisson qui bordait la route, épaula son fusil et prit l'un des bandits dans son viseur. Il pouvait faire feu sans menacer la vie de l'otage. Apparemment,du moins, car lorsque la balle de 30 millimètres pulvérisa la colonne vertébrale du gangster qui menaçait Paul de son revolver, tout son corps se contracta, y compris l'index pressé sur la détente, de l'arme. Une terrible explosion résonna dans la tête de Paul, mais il ne sentit rien. Il entrevit seulement un nuage écarlate qui s'assombrit aussitôt et l'enveloppa de toute part. Il sombra, sans délai, dans une nuit sans fin.
Tel fut le premier rendez-vous de Paul Greenwood avec le destin.