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Guillaume Apollinaire - Merlin et la vieille femme
Poème de Guillaume APOLLINAIREMerlin et la vieille femmeLe soleil ce jour-là s'étalait comme un ventreMaternel qui saignait lentement sur le ciel La lumière est ma mère ô lumière sanglante Les nuages coulaient comme un flux menstruel Au carrefour où nulle fleur sinon la rose Des vents mais sans épine n'a fleuri l'hiver Merlin guettait la vie et l'éternelle cause Qui fait mourir et puis renaître l'univers Une vieille sur une mule à chape verte S'en vint suivant la berge du fleuve en aval Et l'antique Merlin dans la plaine déserte Se frappait la poitrine en s'écriant Rival O mon être glacé dont le destin m'accable Dont ce soleil de chair grelotte veux-tu voir Ma Mémoire venir et m'aimer ma semblable Et quel fils malheureux et beau je veux avoir Son geste fit crouler l'orgueil des cataclysmes Le soleil en dansant remuait son nombril Et soudain le printemps d'amour et d'héroïsme Amena par la main un jeune jour d'avril Les voies qui viennent de l'ouest étaient couvertes D'ossements d'herbes drues de destins et de fleurs Des monuments tremblants près des charognes vertes Quand les vents apportaient des poils et des malheurs Laissant sa mule à petits pas s'en vint l'amante A petits coups le vent défripait ses atours Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes L'entrelacs de leurs doigts fut leur seul laps d'amour Elle balla mimant un rythme d'existence Criant Depuis cent ans j'espérais ton appel Les astres de ta vie influaient sur ma danse Morgane regardait de jaut du mont Gibel Ah! qu'il fait doux danser quand pour vous se déclare Un mirage où tout chante et que les vents d'horreur Feignent d'être le rire de la lune hilare Et d'effrayer les fantômes avants-coureurs J'ai fait des gestes blancs parmi les solitudes Des lémures couraient peupler les cauchemars Mes tournoiements exprimaient les béatitudes Qui toutes ne sont rien qu'un pur effet de l'Art Je n'ai jamais cueilli que la fleur d'aubépine Aux printemps finissants qui voulaient défleurir Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines D'agneaux mort-nés et d'enfants-dieux qui vont mourir Et j'ai vieilli vois-tu pendant ta vie je danse Mais j'eusse été tôt lasse et l'aubépine en fleurs Cet avril aurait eu la pauvre confidence D'un corps de vieille morte en mimant la douleur Et leurs mains s'élevaient comme un vol de colombes Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour Puis Merlin s'en alla vers l'est disant Qu'il monte Le fils de ma Mémoire égale de l'Amour Qu'il monte de la fange ou soit une ombre d'homme Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel Le front nimbé de feu sur le chemin de Rome Il marchera tout seul en regardant le ciel La dame qui m'attend se nomme Viviane Et vienne le printemps des nouvelles douleurs Couché parmi la marjolaine et les pas-d'âne Je m'éterniserai sous l'aubépine en fleurs
Recueil " Alcools " - Poèmes de Guillaume APOLLINAIRE | Auteurs Classiques Date de création : 19/12/2010 @ 21:39
Dernière modification : 22/07/2012 @ 23:52
Catégorie : Guillaume Apollinaire
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