Éternelle Bêtise
Léon Xanrof (1867-1953)
Parce qu'elle passait un soir,
Qu'on l'aborda, tremblant d'espoir,
Et qu'elle dit : " Il faudra voir !"
On est parti, l'âme ravie ;
On dit : "C'est l'affaire d'un jour..."
Puis cela devient de l'amour :
Finalement on a en pour toute la vie.
Parce qu'elle a de très grands yeux
Clairs comme deux gouttes des cieux,
Nous les croyons malicieux
Ou pleins de poétiques songes ;
Parce que son regard est doux,
Comprimant notre coeur jaloux,
Nous acceptons à deux genoux
Tous ses mensonges.
Parce que sa voix a des sons
Doux et clairs comme des chansons,
Pour lui plaire nous trahissons
Les secrets que l'on nous confie.
Parce qu'on aime son baiser
Et qu'on ne peut plus s'en passer,
On se sent lentement glisser
Vers l'infamie.
Parce qu'elle est comme un enfant,
Que sa faiblesse la défend,
Elle prend un air triomphant
Et vous nargue, quand on se fâche ;
Las enfin, d'être torturé
Quand on lui dit : "je te tuerai !"
Parce qu'elle aura bien pleuré,
On devient lâche.
Parce qu'elle s'envole un soir,
On se sent pris de désespoir,
Et pour aller au pays noir
Par-dessus un pont, on se jette.
L'amour, ce sentiment subtil,
Est très remarquable en ce qu'il
Distingue l'homme, paraît-il,
D'une autre bête.
Recueil " Chansons Parisiennes " de Léon Xanrof (1867-1953)