Le pantin de la petite Jeanne
A présent, le pantin est accroché devant
Votre table. Il est là, bien tranquille, et souvent
Il sourit. On l'a fait avec une poupée
Habillée en Pierrot. Sa taille est bien drapée ;
Puis il est gracieux comme le jour qui naît.
Il songe, avec des yeux bleu sombre. Si ce n'est
Que les rubans, les noeuds d'amour et les bouffettes
De son habit sont bleus, et ses deux lèvres bien faites
En vermillon, il est tout blanc, comme l'hiver.
A son petit chapeau tient un anneau de fer
Pour qu'on puisse pendre avec un fil. Sa face
Est d'un rose charmant que jamais rien n'efface,
Et l'habit est de neige, et les agréments bleus.
Il garde la douceur des êtres fabuleux :
Il est sérieux, mais avec un air de fête.
Il est blanc. Ses cheveux, qui volent sur la tête,
Sont blancs aussi, naïve innocence des jeux !
Ils sont en ouate : ils font comme un ciel nuageux
Sous le chapeau pointu qui lui couvre le crâne.
Et c'était le joujou de la petite Jeanne.
Oh ! Je vous tresse, fleurs pâles du souvenir !
Elle n'aurait pas eu la force de tenir
Ce jouet de fillette avec sa main trop tendre ;
Mais on avait trouvé cela, de le suspendre
Avec un léger fil au-dessus du berceau.
La douce enfant, tremblant de froid comme un oiseau
En voyant la poupée essayait de sourire.
Ses deux mains y touchaient alors, chère martyre(1) !
D'un geste maladif, vaguement enfantin,
Et l'on voyait trembler à peine le pantin.
(1) Il s'agit d'une fillette clouée au lit par la maladie.
Recueil " " -
Poèmes de Théodore de Banville (1823-1891)