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Jean de la Fontaine - Le calendrier des vieillards

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Le calendrier des vieillards

Conte de Jean de la Fontaine

Nouvelle tirée des contes de la reine de Navarre

Plus d'une fois je me suis étonné
Que ce qui fait la paix du mariage
En est le point le moins considéré,
Lorsque l'on met une fille en ménage.
Les père et mère ont pour objet le bien;
Tout le surplus, ils le comptent pour rien;
Jeunes tendrons à vieillards apparient.
Et cependant je vois qu'ils se soucient
D'avoir chevaux à leur char attelés
De même taille, et même chiens couplés:
Ainsi des boeufs, qui de force pareille
Sont toujours pris: car ce serait merveille
Si sans cela la charrue allait bien.
Comment pourrait celle du mariage
Ne mal aller, étant un attelage
Qui bien souvent ne se rapporte en rien?
J'en vas conter un exemple notable.
On sait qui fut Richard de Quinzica,
Qui mainte fête à sa femme allégua,
Mainte vigile, et maint jour fériable,
Et du devoir crut s'échapper par là.
Très lourdement il errait en cela.
Cestui Richard était juge dans Pise,
Homme savant en l'étude des lois,
Riche d'ailleurs, mais dont la barbe grise
Montrait assez qu'il devait faire choix
De quelque femme à peu près de même âge;
Ce qu'il ne fit, prenant en mariage
La mieux séante et la plus jeune d'ans
De la cité; fille bien alliée,
Belle surtout: c'était Bartholomée
De Galandi, qui parmi ses parents
Pouvait compter les plus gros de la ville.
En ce ne fit Richard tour d'homme habile:
Et l'on disait communément de lui
Que ses enfants ne manqueraient de pères.
Tel fait métier de conseiller autrui,
Qui ne voit goutte en ses propres affaires.
Quinzica donc n'ayant de quoi servir
Un tel oiseau qu'était Bartholomée,
Pour s'excuser, et pour la contenir,
Ne rencontrait point de jour en l'année,
Selon son compte et son calendrier,
Où l'on se pût sans scrupule appliquer
Au fait d'hymen; chose aux vieillards commode;
Mais dont le sexe abhorre la méthode.
Quand je dis point, je veux dire très peu:
Encor ce peu lui donnait de la peine:
Toute en féries il mettait la semaine,
Et bien souvent faisait venir en jeu
Saint qui ne fut jamais dans la Légende.
Le vendredi, disait-il, nous demande
D'autres pensers, ainsi que chacun sait:
Pareillement il faut que l'on retranche
Le samedi, non sans juste sujet,
D'autant que c'est la veille du dimanche.
Pour ce dernier, c'est un jour de repos.
Quant au lundi, je ne trouve à propos
De commencer par ce point la semaine:
Ce n'est le fait d'une âme bien chrétienne.
Les autres jours autrement s'excusait:
Et quand venait aux fêtes solennelles,
C'était alors que Richard triomphait,
Et qu'il donnait les leçons les plus belles.
Longtemps devant toujours il s'abstenait;
Longtemps après il en usait de même;
Aux Quatre-Temps autant il en faisait;
Sans oublier l'Avent ni le Carême.
Cette saison pour le vieillard était
Un temps de Dieu, jamais ne s'en lassait.
De patrons même il avait une liste.
Point de quartier pour un évangéliste,
Pour un apôtre, ou bien pour un docteur:
Vierge n'était, martyr, et confesseur,
Qu'il ne chommât; tous les savait par coeur.
Que s'il était au bout de son scrupule,
Il alléguait les jours malencontreux,
Puis les brouillards, et puis la canicule,
De s'excuser n'étant jamais honteux.
La chose ainsi presque toujours égale,
Quatre fois l'an, de grâce spéciale,
Notre docteur régalait sa moitié,
Petitement; enfin c'était pitié.
A cela près, il traitait bien sa femme.
Les affiquets, les habits à changer,
Joyaux, bijoux, ne manquaient à la dame;
Mais tout cela n'est que pour amuser
Un peu de temps des esprits de poupée;
Droit au solide allait Bartholomée.
Son seul plaisir dans la belle saison,
C'était d'aller à certaine maison
Que son mari possédait sur la côte:
Ils y couchaient tous les huit jours sans faute.
Là, quelquefois sur la mer ils montaient,
Et le plaisir de la pêche goûtaient,
Sans s'éloigner que bien peu de la rade.
Arrive donc qu'un jour de promenade,
Bartholomée et Messer le docteur
Prennent chacun une barque à pêcheur,
Sortent sur mer; ils avaient fait gageure
A qui des deux aurait plus de bonheur,
Et trouverait la meilleure aventure
Dedans sa pêche, et n'avaient avec eux,
Dans chaque barque, en tout qu'un homme ou deux.
Certain corsaire aperçut la chaloupe
De notre épouse, et vint avec sa troupe
Fondre dessus, l'emmena bien et beau;
Laissa Richard: soit que près du rivage
Il n'osât pas hasarder davantage;
Soit qu'il craignît qu'ayant dans son vaisseau
Notre vieillard, il ne pût de sa proie
Si bien jouir; car il aimait la joie
Plus que l'argent, et toujours avait fait
Avec honneur son métier de corsaire;
Au jeu d'amour était homme d'effet,
Ainsi que sont gens de pareille affaire.
Gens de mer sont toujours prêts à bien faire,
Ce qu'on appelle autrement bons garçons:
On n'en voit point qui les fêtes allègue.
Or tel était celui dont nous parlons,
Ayant pour nom Pagamin de Monègue.
La belle fit son devoir de pleurer
Un demi-jour, tant qu'il se put étendre:
Et Pagamin de la réconforter;
Et notre épouse à la fin de se rendre.
Il la gagna; bien savait son métier.
Amour s'en mit, Amour ce bon apôtre,
Dix mille fois plus corsaire que l'autre,
Vivant de rapt, faisant peu de quartier.
La belle avait sa rançon toute prête:
Très bien lui prit d'avoir de quoi payer;
Car là n'était ni vigile ni fête.
Elle oublia ce beau calendrier
Rouge partout, et sans nul jour ouvrable:
De la ceinture on le lui fit tomber;
Plus n'en fut fait mention qu'à la table,
Notre légiste eût mis son doigt au feu
Que son épouse était toujours fidèle,
Entière, et chaste; et que, moyennant Dieu,
Pour de l'argent on lui rendrait la belle.
De Pagamin il prit un sauf-conduit,
L'alla trouver, lui mit la carte blanche.
Pagamin dit: Si je n'ai pas bon bruit,
C'est à grand tort: je veux vous rendre franche
Et sans rançon votre chère moitié.
Ne plaise à Dieu que si belle amitié
Soit par mon fait de désastre ainsi pleine.
Celle pour qui vous prenez tant de peine.
Vous reviendra selon votre désir.
Je ne veux point vous vendre ce plaisir.
Faites-moi voir seulement qu'elle est vôtre;
Car si j'allais vous en rendre quelque autre,
Comme il m'en tombe assez entre les mains,
Ce me serait une espèce de blâme.
Ces jours passés, je pris certaine dame,
Dont les cheveux sont quelque peu châtains,
Grande de taille, en bon point, jeune, et fraîche.
Si cette belle après vous avoir vu
Dit être à vous, c'est autant de conclu:
Reprenez-la, rien ne vous en empêche.
Richard reprit: Vous parlez sagement:
Et me traitez trop généreusement.
De son métier il faut que chacun vive.
Mettez un prix à la pauvre captive,
Je le payrai comptant, sans hésiter.
Le compliment n'est ici nécessaire:
Voilà ma bourse, il ne faut que compter.
Ne me traitez que comme on pourrait faire
En pareil cas l'homme le moins connu.
Serait-il dit que vous m'eussiez vaincu
D'honnêteté? non sera, sur mon âme.
Vous le verrez. Car, quant à cette dame,
Ne doutez point qu'elle ne soit à moi.
Je ne veux pas que vous m'ajoutiez foi,
Mais aux baisers que de la pauvre femme
Je recevrai, ne craignant qu'un seul point:
C'est qu'à me voir de joie elle ne meure.
On fait venir l'épouse tout à l'heure,
Qui, froidement et ne s'émouvant point,
Devant ses yeux voit son mari paraître,
Sans témoigner seulement le connaître,
Non plus qu'un homme arrivé du Pérou.
Voyez, dit-il, la pauvrette est honteuse
Devant les gens; et sa joie amoureuse
N'ose éclater: soyez sûr qu'à mon cou,
Si j'étais seul, elle serait sautée.
Pagamin dit: Qu'il ne tienne à cela:
Dedans sa chambre allez, conduisez-la.
Ce qui fut fait: et la chambre fermée;
Richard commence: Et là, Bartholomée,
Comme tu fais! je suis ton Quinzica,
Toujours le même à l'endroit de sa femme.
Regarde-moi. Trouves-tu, ma chère âme,
En mon visage un si grand changement!
C'est la douleur de ton enlèvement
Qui me rend tel; et toi seule en es cause.
T'ai-je jamais refusé nulle chose,
Soit pour ton jeu, soit pour tes vêtements?
En était-il quelqu'une de plus brave?
De ton vouloir ne me rendais-je esclave?
Tu le seras, étant avec ces gens.
Et ton honneur, que crois-tu qu'il devienne?
- Ce qu'il pourra, répondit brusquement
Bartholomée. Est-il temps maintenant
D'en avoir soin? s'en est-on mis en peine
Quand, malgré moi, l'on m'a jointe avec vous?
Vous vieux penard, moi, fille jeune et drue,
Qui méritais d'être un peu mieux pourvue,
Et de goûter ce qu'hymen a de doux.
Pour cet effet j'étais assez aimable;
Et me trouvais aussi digne, entre nous,
De ces plaisirs, que j'en étais capable.
Or est le cas allé d'autre façon
J'ai pris mari qui pour toute chanson
N'a jamais eu que ses jours de férie;
Mais Pagamin, sitôt qu'il m'eut ravie,
Me sut donner bien une autre leçon.
J'ai plus appris des choses de la vie
Depuis deux jours, qu'en quatre ans avec vous.
Laissez-moi donc, Monsieur mon cher époux.
Sur mon retour n'insistez davantage.
Calendriers ne sont point en usage
Chez Pagamin: je vous en avertis.
Vous et les miens avez mérité pis.
Vous, pour avoir mal mesuré vos forces
En m'épousant; eux, pour s'être mépris,
En préférant les légères amorces
De quelque bien à cet autre point-là.
Mais Pagamin pour tous y pourvoira.
Il ne sait loi, ni Digeste, ni Code;
Et cependant très bonne est sa méthode.
De ce matin lui-même il vous dira
Du quart en sus comme la chose en va.
Un tel aveu vous surprend et vous touche:
Mais faire ici de la petite bouche
Ne sert de rien; l'on n'en croira pas moins.
Et puisque enfin nous voici sans témoins:
Adieu vous dis, vous et vos jours de fête.
Je suis de chair, les habits rien n'y font:
Vous savez bien, Monsieur, qu'entre la tête
Et le talon d'autres affaires sont
A tant se tut. Richard tombé des nues,
Fut tout heureux de pouvoir s'en aller.
Bartholomée, ayant ses hontes bues,
Ne se fit pas tenir pour demeurer.
Le pauvre époux en eut tant de tristesse,
Outre les maux qui suivent la vieillesse,
Qu'il en mourut à quelques jours de là;
Et Pagamin prit à femme sa veuve.
Ce fut bien fait: nul des deux ne tomba
Dans l'accident du pauvre Quinzica,
S'étant choisis l'un et l'autre à l'épreuve.
Belle leçon pour gens à cheveux gris;
Sinon qu'ils soient d'humeur accommodante:
Car en ce cas Messieurs les favoris
Font leur ouvrage, et la dame est contente.
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Date de création : 26/07/2012 @ 20:13
Dernière modification : 26/07/2012 @ 20:13
Catégorie : Jean de la Fontaine
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