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Jean de la Fontaine - Le magnifique
Le magnifiqueConte de Jean de la FontaineUn peu d'esprit, beaucoup de bonne mine,
Qu'il le fût onc; il défiait les gens.
Au demeurant il était fort sensible A l'intérêt, aimait fort les présents. Son concurrent n'avait encor su dire Le moindre mot à l'objet de ses voeux: On ignorait, ce lui semblait, ses feux, Et le surplus de l'amoureux martyre; (Car c'est toujours une même chanson). Si l'on l'eût su, qu'eût-on fait? Que fait-on? Jà n'est besoin qu'au lecteur je le die. Pour revenir à notre pauvre amant, Il n'avait su dire un mot seulement Au médecin touchant sa maladie. Or le voilà qui tourmente sa vie, Qui va, qui vient, qui court, qui perd ses pas: Point de fenêtre et point de jalousie Ne lui permet d'entrevoir les appas Ni d'entr'ouïr la voix de sa maîtresse. Il ne fut onc semblable forteresse. Si faudra-t-il qu'elle y vienne pourtant. Voici comment s'y prit notre assiégeant. Je pense avoir déjà dit, ce me semble, Qu'Aldobrandin homme à présents était; Non qu'il en fît, mais il en recevait. Le Magnifique avait un cheval d'amble, Beau, bien taillé, dont il faisait grand cas: Il l'appelait, à cause de son pas, La haquenée. Aldobrandin le loue: Ce fut assez; notre amant proposa De le troquer; l'époux s'en excusa: Non pas, dit-il, que je ne vous avoue Qu'il me plaît fort; mais à de tels marchés Je perds toujours. Alors le Magnifique, Qui voit le but de cette politique, Reprit: Eh bien, faisons mieux; ne troquez; Mais, pour le prix du cheval, permettez Que, vous présent, j'entretienne Madame. C'est un désir curieux qui m'a pris. Encor faut-il que vos meilleurs amis
Sachent un peu ce qu'elle a dedans l'âme.
Je vous demande un quart d'heure sans plus. Aldobrandin l'arrêtant là-dessus: J'en suis d'avis; je livrerai ma femme? Ma foi, mon cher, gardez votre cheval. - Quoi, vous présent? - Moi présent. - Et quel mal Encore un coup peut-il en la présence D'un mari fin comme vous arriver? Aldobrandin commence d'y rêver: Et raisonnant en soi: Quelle apparence Qu'il en mévienne en effet moi présent? C'est marché sûr; il est fol; à son dam; Que prétend-il? Pour plus grande assurance, Sans qu'il le sache, il faut faire défense A ma moitié de répondre au galant. Sus, dit l'époux, j'y consens. - La distance De vous à nous, poursuivit notre amant, Sera réglée, afin qu'aucunement Vous n'entendiez. Il y consent encore; Puis va quérir sa femme en ce moment. Quand l'autre voit celle-là qu'il adore, Il se croit être en un enchantement. Les saluts faits, en un coin de la salle Ils se vont seoir. Notre galant n'étale Un long narré, mais vient d'abord au fait. Je n'ai le lieu ni le temps à souhait, Commença-t-il; puis je tiens inutile De tant tourner; il n'est que d'aller droit. Partant, Madame, en un mot comme en mille, Votre beauté jusqu'au vif m'a touché. Penseriez-vous que ce fût un péché Que d'y répondre? Ah je vous crois, Madame, De trop bon sens. Si j'avais le loisir, Je ferais voir par les formes ma flamme, Et vous dirais de cet ardent désir Tout le menu. Mais que je brûle, meure, Et m'en tourmente, et me dise aux abois, Tout ce chemin que l'on fait en six mois, Il me convient le faire en un quart d'heure: Et plus encor; car ce n'est pas là tout. Froid est l'amant qui ne va jusqu'au bout, Et par sottise en si beau train demeure. Vous vous taisez? pas un mot! Qu'est-ce là? Renvoyrez-vous de la sorte un pauvre homme? Le Ciel vous fit, il est vrai, ce qu'on nomme Divinité; mais faut-il pour cela
Ne point répondre alors que l'on vous prie?
Je vois, je vois; c'est une tricherie De votre époux: il m'a joué ce trait; Et ne prétend qu'aucune repartie Soit du marché; mais j'y sais un secret. Rien n'y fera pour le sûr sa défense. Je saurai bien me répondre pour vous: Puis ce coin d'oeil, par son langage doux, Rompt à mon sens quelque peu le silence. J'y lis ceci: Ne croyez pas, Monsieur, Que la nature ait composé mon coeur De marbre dur. Vos fréquentes passades, Joutes, tournois, devises, sérénades, M'ont avant vous déclaré votre amour. Bien loin qu'il m'ait en nul point offensée, Je vous dirai que dès le premier jour J'y répondis, et me sentis blessée Du même trait. Mais que nous sert ceci? - Ce qu'il nous sert? Je m'en vais vous le dire: Etant d'accord, il faut cette nuit-ci Goûter le fruit de ce commun martyre; De votre époux nous venger et nous rire; Bref le payer du soin qu'il prend ici; De ces fruits-là le dernier n'est le pire. Votre jardin viendra comme de cire: Descendez-y; ne doutez du succès: Votre mari ne se tiendra jamais Qu'à sa maison des champs, je vous l'assure, Tantôt il n'aille éprouver sa monture. Vos douagnas en leur premier sommeil, Vous descendrez sans nul autre appareil Que de jeter une robe fourrée Sur votre dos, et viendrez au jardin. De mon côté l'échelle est préparée.
Je monterai par la cour du voisin:
Je l'ai gagné: la rue est trop publique. Ne craignez rien. - Ah mon cher Magnifique Que je vous aime! et que je vous sais gré De ce dessein! Venez, je descendrai. - C'est vous qui parle; et plût au Ciel, Madame, Qu'on vous osât embrasser les genoux! - Mon Magnifique, à tantôt; votre flamme Ne craindra point les regards d'un jaloux. L'amant la quitte; et feint d'être en courroux; Puis, tout grondant: Vous me la donnez bonne, Aldobrandin; je n'entendais cela. Autant vaudrait n'être avecque personne Que d'être avec Madame que voilà. Si vous trouvez chevaux à ce prix-là, Vous les devez prendre sur ma parole. Le mien hennit du moins; mais cette idole Est proprement un fort joli poisson. Or sus, j'en tiens; ce m'est une leçon; Quiconque veut le reste du quart d'heure N'a qu'à parler; j'en ferai juste prix. Aldobrandin rit si fort qu'il en pleure. Ces jeunes gens, dit-il, en leurs esprits Mettent toujours quelque haute entreprise. Notre féal vous lâchez trop tôt prise; Avec le temps on en viendrait à bout. J'y tiendrai l'oeil; car ce n'est pas là tout; Nous y savons encor quelque rubrique: Et cependant, Monsieur le Magnifique, La haquenée est nettement à nous: Plus ne fera de dépense chez vous. Dès aujourd'hui, qu'il ne vous en déplaise, Vous me verrez dessus fort à mon aise Dans le chemin de ma maison des champs.
Il n'y manqua, sur le soir; et nos gens
Au rendez-vous tout aussi peu manquèrent. Dire comment les choses s'y passèrent, C'est un détail trop long; lecteur prudent, Je m'en remets à ton bon jugement. La dame était jeune, fringante et belle, L'amant bien fait, et tous deux fort épris. Trois rendez-vous coup sur coup furent pris: Moins n'en valait si gentille femelle. Aucun péril, nul mauvais accident, Bons dormitifs en or comme en argent Aux douagnas, et bonne sentinelle. Un pavillon vers le bout du jardin Vint à propos; messire Aldobrandin Ne l'avait fait bâtir pour cet usage. Conclusion, qu'il prit en cocuage Tous ses degrés; un seul ne lui manqua, Tant sut jouer son jeu la haquenée: Content ne fut d'une seule journée Pour l'éprouver; aux champs il demeura Trois jours entiers; sans doute ni scrupule. J'en connais bien qui ne sont si chanceux; Car ils ont femme, et n'ont cheval ni mule, Sachant de plus tout ce qu'on fait chez eux. ![]() Date de création : 26/07/2012 @ 20:57
Dernière modification : 26/07/2012 @ 20:57
Catégorie : Jean de la Fontaine
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